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In Gruénais ME, Pourtier R (dir),
La santé en Afrique.
Anciens et nouveaux défis.
Afrique contemporaine, n°195, juillet septembre 2000, numéro spécial, p.73-90.

L'épidémie du VIH/SIDA en Afrique : état des lieux

par Nathalie Lydié

L'Afrique sub-saharienne est le territoire le plus touché par l'infection VIH, l'information n'est pas récente ; elle a été une nouvelle fois confirmée par le programme commun des Nations unies (Onusida) dans le cadre de son rapport annuel sur la situation mondiale de l'épidémie [1].
Ainsi, à la fin de 1999, le nombre de personnes séropositives à travers le monde a été estimé à 33,6 millions, dont 1,2 millions d'enfants. Environ 95 % des personnes contaminées vivent dans les pays du sud, 23,3 millions sur le continent africain alors que cette région compte à peine 10 % de la population mondiale. L'Onusida estime aujourd'hui le taux de prévalence, chez les adultes âgés de 15 à 49 ans, à 8 % pour l'Afrique sub-saharienne tout en considérant que cette proportion va encore s'accroître, au fur et à mesure de l'augmentation des taux d'infection, dans les pays où la pauvreté et l'insuffisance des systèmes de santé et des ressources destinées à la prévention et aux soins entretiennent la propagation du virus. Un territoire au visage contrasté….

Afrique australe : l'épidémie se déplace vers le sud

Aucun pays d'Afrique n'est aujourd'hui indemne mais la majeure partie des nouveaux cas (3,8 millions en 1999) reste concentrée dans l'est et le sud du continent. En Zambie, au Botswana, en Namibie, au Swaziland et au Zimbabwe, entre 20 % et 26 % des personnes âgées de 15 à 49 ans seraient séropositives ou malades du sida. Au Botswana, la proportion de la population vivant avec le VIH a doublé au cours des cinq dernières années ; en 1997, dans la grande agglomération de Francistown, 43 % des femmes enceintes présentaient un test positif [2]. Au Zimbabwe, en 1997, dans les vingt-cinq sites de surveillance sentinelles où des échantillons de sang prélevés sur des femmes enceintes sont soumis à des tests anonymes de dépistage, la prévalence était inférieure à 10 % dans seulement deux sites [3]. Dans les vingt-trois autres, entre un cinquième et la moitié des femmes enceintes étaient infectées par le VIH. Les taux d'infection restaient plus élevées dans les grands sites urbains que dans les zones rurales ou les villes secondaires, mais désormais les différences ne sont plus très importantes. Au début des années 1990, l'Afrique du sud avait des taux d'infection moins élevés que certains de ses voisins ; aujourd'hui, ce pays prolonge la zone des hautes prévalences. Dans les provinces du Natal, de l'Ouest, de l'Est, et des états du Gauteng qui abritent les principales villes du pays (Johannesburg, Pretoria, Durban, Porth Elisabeth), la prévalence est passée de moins de 1 % en 1990 à environ 15 % en 1997 [4]. Au cours de cette dernière année, le pays aurait enregistré 700 000 nouvelles infections pour une population séropositive désormais estimée à 2,9 millions.

Figures : Évolution des niveaux de prévalence chez les femmes enceintes des milieux urbains d'Afrique australe et orientale (en %) Afrique de l'est : des évolutions diverses

 

Situation en 1984

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Légende

Situation en 1999

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A l'est, l'Afrique des Grands Lacs (Tanzanie, Kenya, Ouganda, Burundi et Rwanda) forme le plus vaste et le plus ancien territoire de haute prévalence. A Nairobi et Dar Es Salaam, la prévalence se situe aujourd'hui autour de 15 % ; elle est probablement supérieure à Bujumbura mais aucune donnée précise n'est réellement disponible depuis 1993 [2].

Un seul pays en Afrique australe, l'Ouganda, présente désormais un profil épidémiologique différent de celui de ses voisins.


L'Ouganda est l'un des premiers pays d'Afrique où fut détectée l'épidémie de VIH et l'un des plus sévèrement touchés. Les premiers cas on été rapportés dès 1985 [5], bien avant la mise en place du système de surveillance sentinelle qui a démarré en 1989 sur six sites dans les grandes villes, et s'est depuis étendu à vingt sites répartis dans tout le pays, y compris dans les zones rurales [6]. En 1986, la prévalence enregistrée auprès des femmes enceintes de Kampala était déjà supérieure à 10 % ; elle était de 24 % en 1987 et supérieure à 30 % en 1990. Elle a ensuite baissé de manière régulière pour atteindre 15 % en 1997 [2]. Le pourcentage de mères séropositives aurait donc diminué de moitié en l'espace de sept ans. L'interprétation d'un tel phénomène pose problème même si ces résultats peuvent être faussés à plusieurs égards. Des erreurs d'analyses ou de recrutement peuvent toujours être possibles mais ne sauraient expliquer une baisse aussi régulière.
Des changements dans la composition du groupe sont à envisager : pendant la moitié des années 1990, l'Ouganda a accueilli un grand nombre de réfugiés ruandais, dont beaucoup ont aujourd'hui regagné leur pays, ce qui a pu modifier la composition du groupe des femmes se présentant dans les services prénatals. Des migrations entre villes et campagnes ont pu également avoir lieu : les femmes séropositives ont pu retourner dans leur village pour s'y faire prendre en charge. Seul l'âge des femmes étant recueilli, il est impossible de contrôler ces éventuels biais. Le profil des femmes enceintes en Ouganda a pu également évoluer pendant cette période, avec pour effet une diminution du taux d'infection dans ce groupe d'âge. Le premier effet auquel on pense est la baisse de la fécondité chez les femmes séropositives.
Des études récentes ont montré qu'indépendamment de l'association entre le VIH et les autres MST chroniques qui conduisent à une baisse de la fécondité, une femme, si elle était infectée, avait 20 % d'enfants en moins [7]. Ainsi, bien que toujours infectées, ces femmes ne peuvent plus être comptabilisées. Le deuxième effet implique le niveau de mortalité. Une baisse de la prévalence n'indique pas forcément que le nombre de nouveaux cas d'infection est en diminution, si on se trouve dans un contexte de forte mortalité comme cela peut être le cas en Ouganda. Ces femmes, parce qu'elles sont moins fécondes ou décédées, ne font donc plus partie de l'échantillon, de sorte que les "femmes enceintes" forment un groupe où il y a moins de sujets séropositifs que dans l'ensemble de la population féminine.
Ces remarques soulignent les limites des systèmes de surveillance sentinelle : satisfaisants en début d'épidémie où une augmentation continue de la prévalence est généralement synonyme d'une augmentation continue des nouveaux cas, ils deviennent insuffisants lorsque l'infection s'installe comme une maladie endémique.
Pour savoir si l'infection recule réellement, il faudrait pouvoir disposer du taux d'incidence. Celui-ci ne peut s'obtenir qu'en organisant le suivi d'une cohorte. De telles études existent, mais elles sont coûteuses et difficiles à réaliser à l'échelle requise pour faire apparaître ce qui se passe dans l'ensemble de la population. Certaines de ces réserves perdent, cependant, de leur importance lorsque l'on restreint l'analyse aux femmes les plus jeunes, âgées de 15 à 19 ans. Une telle analyse limite les distorsions liées au vieillissement et à la stérilité, puisque la probabilité que les jeunes femmes soient porteuses du virus depuis assez longtemps pour être stériles ou moins fécondes est moindre. De plus, la prévalence est, dans ce cas, proche de l'incidence car les décès sont moins nombreux dans cette tranche d'âge.
Sur le site de Jinja (troisième ville du pays), la prévalence chez les femmes enceintes âgées de 15 à 19 ans est passée de 21 % en 1990 à 5 % en 1996 [8]. Une tendance similaire a été enregistrée à Nsambya (22 % en 1990 versus 10 % en 1996). Un déclin a également été enregistré sur le site de Rubaga (28 % en 1990 versus 15 % en 1996) mais la tendance était moins homogène puisque, après une forte baisse en 1994 (16 %), la prévalence était remontée à 20 % en 1995. La régularité générale et l'ampleur de la baisse chez les femmes enceintes les plus jeunes permettent, cependant, de croire à une chute de la prévalence, comme de l'incidence et pourraient donc correspondre à une baisse de l'incidence dans l'ensemble de la population. Les raisons qui pourraient expliquer cette baisse sont multiples : il se peut que le virus ait perdu de sa virulence ou que les traitements administrés dans les services MST soient devenus plus efficaces, de sorte que les femmes sont moins vulnérables au VIH.
Mais l'une des causes les plus probables est l'évolution des comportements sexuels. Les résultats de plusieurs enquêtes suggèrent non seulement une augmentation de l'âge au premier rapport sexuel, mais aussi un accroissement de l'utilisation du préservatif ces dernières années [9, 10]. Il est néanmoins extrêmement difficile d'établir des liens de cause à effet entre ces deux séries de données car elles n'ont pas été conçues pour être utilisées ensemble.
L'évolution de la situation en Ouganda montre la nécessité de modifier les systèmes de surveillance actuels – en intégrant notamment une surveillance comportementale – si on veut, un jour, être capable d'évaluer l'efficacité des stratégies d'intervention [11].

Afrique de l'ouest : des zones à surveiller

L'Afrique de l'ouest a vu ses taux d'infection se stabiliser à des niveaux beaucoup plus bas que ceux de l'Afrique australe et orientale. Cependant dans certains des pays les plus peuplés de cette région, la prévalence peut atteindre des niveaux relativement importants.
En Côte d'Ivoire, troisième pays le plus peuplé d'Afrique de l'ouest, un adulte sur dix serait porteur du virus [2].
Pays voisin, le Burkina Faso, enregistre des niveaux similaires et nourrit probablement son épidémie des forts mouvements migratoires que les Burkinabé entretiennent avec la région d'Abidjan [12, 13].
Au Nigeria, la prévalence estimée chez l'adulte était de 4,1 % à la fin de 1997 [2]. Ce pourcentage peut paraître relativement bas comparativement à ceux par ailleurs énoncés, mais il concerne une population de 118 millions d'habitants (un cinquième de la population d'Afrique sub-saharienne), soit 2,2 millions d'adultes infectés ; et aujourd'hui, rien n'indique que les taux d'infection sont stabilisés.
Plus au nord, la zone sahélienne continue de dessiner une bande de basse prévalence. Le virus reste relativement discret à N'Djamena (2,4 % en 1995), Niamey (1,3 % en 1993) et Bamako (4,4 % en 1994) [2], tout comme à Dakar où la prévalence chez les femmes enceintes est restée inférieure à 1 % ces dix dernières années. Elle était de 0,3 % en 1997 [2], taux équivalent à celui de la France [14].

Pourquoi de telles disparités ? Moteurs et freins de l'épidémie


Il est globalement difficile de comprendre pourquoi sur un continent où la transmission est majoritairement hétérosexuelle, des niveaux de prévalence aussi hétérogènes sont enregistrés. Des éléments de réponse peuvent toutefois être apportés à travers l'examen de cas particuliers.

Afrique du sud : le rôle des travailleurs migrants

En Afrique du sud, dans la province du Gauteng, 88 000 mineurs vivent à Carltonville, au cœur de la zone aurifère, dont 60 % sont des migrants venus d'autres régions d'Afrique du sud ou de pays voisins : Lesotho, Malawi et Mozambique. En 1997, la prévalence a été estimée à 22 % dans la population générale et à 75 % chez les quatre cents ou cinq cents prostituées qui offrent leurs services aux mineurs [15]. Parmi ces derniers, un homme sur cinq serait séropositif et ce chiffre est probablement sous-estimé. Les messages de prévention sont difficiles à faire passer auprès des mineurs, en raison du contexte même de leur activité. Ces hommes ont une chance sur quarante d'être tués par un éboulement et une sur trois d'être gravement blessés. A titre de comparaison, les risques associés à une infection lente comme celle du VIH peuvent sembler bien lointains. Respectant un schéma classique et décrit pour d'autres régions [16], les mineurs, de retour dans leur foyer infectent leur(s) partenaire(s).
Dans le district rural de Hlabissa, dans la province du Kwazoulou/Natal environ 60 % des ménages comptent un ou plusieurs hommes migrants. Dans cette communauté, les taux d'infection chez les femmes enceintes sont passés de 4 % à 26 % en l'espace de cinq ans.

Rwanda : génocide et migrations forcées

Avant le génocide du milieu des années 1990, le Rwanda présentait un profil épidémiologique classique : taux élevés dans les régions urbaines (au moins 10 % des femmes enceintes séropositives), taux plus faibles (environ 1 %) dans les régions rurales où vivaient 90 % de la population. Non seulement les troubles politiques ont interrompu la surveillance, mais ils ont aussi modifié les caractéristiques de l'épidémie. En 1997, une enquête a fait ressortir qu'il n'y avait plus guère de différences entre les villes et les campagnes, les taux d'infection dépassant légèrement 11 % dans les deux cas [17]. Cette évolution peut être en grande partie imputée aux déplacements massifs de population pendant et après le conflit. Environ 75 % des 4 700 personnes interrogées avaient été contraintes de quitter leur domicile, soit pour fuir à l'étranger soit pour aller se réfugier dans des camps, ce qui traduit une mobilité étonnamment élevée pour ce pays essentiellement rural. Les personnes qui s'étaient réfugiées en Ouganda et en Tanzanie sont apparues moins infectées que celles qui étaient restées au Rwanda. Parmi celles qui ont déclaré avoir passé le conflit dans les camps de réfugiés à l'intérieur du pays, le taux de prévalence était de 8,5 %. Compte tenu que la plupart d'entre elles provenaient de zones rurales où la prévalence ne dépassait pas 1,3 %, on peut estimer que les taux ont été multipliés par six au cours de cette période. Les guerres et les conflits armés créent des conditions propices à la propagation de l'infection VIH.

Sénégal : succès de la prévention ?

Au Sénégal, la déclaration des premiers cas de sida s'est faite en 1986. Différents facteurs pouvaient laisser envisager une évolution rapide de l'épidémie : intenses migrations saisonnières, relations à partenaires multiples fréquentes chez les hommes, très faible utilisation du préservatif. L'évolution attendue n'a pas eu lieu ; l'épidémie est restée faible aussi bien dans la population générale que chez les patients MST (1,1 % de séropositifs en 1990 ; 1,5 % en 1996) et les prostituées qui enregistrent des niveaux de prévalence moyens de 10 %. Plusieurs éléments ont été avancés par les autorités sénégalaises pour expliquer cette situation, le premier d’entre eux concernant les mesures médicales prise en faveur des prostituées [18].
Dans de nombreux pays, la prostitution n’a fait l’objet d’aucune attention de la part des pouvoirs publics jusqu'à l'arrivée du sida, lorsqu'il devint clair que ces femmes étaient très vulnérables vis à vis de l'infection VIH et qu'elles pouvaient très rapidement transmettre le virus à un nombre important d'individus. Au Sénégal, la prostitution est légalisée depuis 1969 [19]. Les prostituées ont pour obligation de se présenter régulièrement dans un centre de santé où elles reçoivent des traitements contre les MST, si nécessaire. Ces visites médicales ont à la fois pu servir de relais d'information et de sensibilisation et, en soignant de manière régulière et efficace les MST, ont permis de réduire la vulnérabilité de ces femmes face à l'infection. Leur rôle, cependant, ne doit pas être surestimé, toutes les prostituées ne se rendant pas dans les centres MST de peur d’être "étiquetées". Le second argument fait référence à la prise de position des communautés et des leaders religieux. Associés à la prévention dès 1989, leur discours a peu à peu évolué pour aboutir, au début de l'année 1995, à un texte rédigé par les deux cent soixante grands leaders islamiques du pays affirmant que le sida n'était pas une punition divine pour conduite immorale et se déclarant en faveur de l'utilisation du préservatif, notamment dans le cadre de couples sérodifférents. Malgré ce texte, les autorités religieuses sénégalaises restent largement opposées à l’usage du préservatif, la religion suffisant, pour eux, à bien des égards puisqu’elle est envisagée comme un " préservatif moral " selon les termes d’un imam sénégalais entendus, à Abidjan, lors de la dixième Conférence Internationale sur le sida en Afrique (décembre 1997).
Les autorités sénégalaises soulignent, enfin, la performance de leur système de banques de sang, dans une région où près d'un quart des poches de sang utilisées en 1995 n'avait fait l'objet d'aucune vérification [20]. Même si ces facteurs ont certainement contribué au maintien d’une faible prévalence dans le pays, il est difficile de faire la part de chacun d’entre eux et d’affirmer que le Sénégal est l’exemple même du succès de la prévention sans avoir d’abord écarter l'hypothèse de facteurs biologiques qui auraient freiné la propagation du virus.

Dans tous les cas : des dynamiques extrêmement complexes

En dehors des quelques cas particuliers que peuvent représenter des pays comme l’Afrique du sud, le Rwanda et le Sénégal, pour lesquels certaines données contextuelles apportent des explications sur l'évolution de l'épidémie, la question des disparités reste entière. C'est pour apporter des éléments de réponse supplémentaires qu'une étude a été réalisée dans quatre villes d'Afrique sub-saharienne : les unes présentant des niveaux de prévalence relativement faibles (proches de 5 %), Cotonou au Bénin et Yaoundé au Cameroun, les autres des niveaux très élevés (supérieurs à 25 %), Kisumu au Kenya et Ndola en Zambie [21]. Cette enquête avait posé comme hypothèse que les différences de niveaux de prévalence pouvaient s'expliquer par les différences de distribution des facteurs de risque entre les quatre sites. Partant du fait que la probabilité qu'une personne soit infectée par le VIH au cours d'un rapport sexuel est le produit de la probabilité qu'un individu non infecté ait un rapport sexuel avec une personne infectée et la probabilité que le VIH lui soit transmis durant ce rapport, les facteurs de risques retenus étaient ceux qui définissent l'exposition (i.e. le comportement sexuel) et la transmission (présence d'une autre MST, circoncision, pratiques sexuelles, dry sex, préservatif). Les premiers résultats ont montré que les différences de niveaux de prévalence ne pouvaient probablement pas s'expliquer que par des différences de comportement sexuel [22, 23].
Un argument majeur étant que l'activité sexuelle définie à risque est apparue, dans cette enquête, nettement plus importante à Yaoundé alors que l'épidémie VIH y demeure relativement basse comparativement à Kisumu et Ndola. Cette étude a par ailleurs confirmé l'existence d'une association entre des taux de VIH élevés et deux cofacteurs biologiques qui pourraient accroître la transmission du VIH lors d'un rapport sexuel.
Le premier facteur est la présence de traces sérologiques d'une infection actuelle ou ancienne liée à une MST ulcérative (syphilis ou herpès génital) plus importante dans les sites à haute prévalence que dans les sites à basse prévalence notamment dans les groupes d’âge les plus jeunes. Le deuxième facteur est à la fois biologique et culturel puisqu'il concerne la présence ou l'absence de circoncision.
Dans la lignée d'autres études [24-26], il a été montré, qu’à Kisumu, les hommes qui étaient circoncis présentaient des taux d'infection VIH plus bas que les non circoncis (respectivement 7,5 % et 25,2 %). Il serait toutefois un peu rapide de conclure que seuls ces deux facteurs puissent expliquer un phénomène aussi complexe, sans tenir compte des spécificités politiques, géographiques et historiques de chacune de ces villes, de l'organisation de la lutte contre le sida de ces différents pays, et notamment des rapports entre l'État et la société civile dont l'importance a déjà été soulignée [27]. Une dynamique épidémique de plus en plus défavorable aux femmes et à leurs enfants, conséquence de la transmission verticale

De plus en plus de femmes infectées

En Afrique sub-saharienne, aujourd’hui, 55 % des adultes infectés sont des femmes (12,2 millions de femmes pour 10,1 millions d’hommes) [1]. Les raisons pour lesquelles les femmes sont aujourd’hui plus nombreuses que les hommes à être infectées ne sont pas claires. Les données actuelles suggèrent que, dans une épidémie où le mode de contamination est avant tout hétérosexuel, plus d’hommes que de femmes sont infectés au début de l’épidémie. Ceci est particulièrement vrai dans les milieux où un nombre restreint de prostituées s’infectent rapidement et transmettent le virus à un nombre d’hommes important. Par la suite, la différence homme/femme se comble, puis finit par s’inverser. Plusieurs facteurs contribuent à expliquer cette évolution. Le premier est lié à la probabilité de transmission du virus lors d’un rapport sexuel, trois fois plus importante de l’homme vers la femme que de la femme vers l’homme [28].
Le second facteur est lié aux caractéristiques d’âge des hommes et des femmes au moment où ils s’infectent. Des études récentes menées en population générale ont montré de larges différences de niveaux de prévalence entre les deux sexes aux âges les plus jeunes. Une étude réalisée à Kisumu a montré que la prévalence de l’infection VIH était environ six fois supérieure chez les jeunes filles de 15 à 19 ans que chez les jeunes garçons de la même tranche d’âge (respectivement 3,5 % et 23 %) ; elle était d’un rapport de quatre à Ndola [22].
L'épidémie de VIH démarre plus tard chez les hommes pour lesquels le pic de prévalence est atteint entre 30 et 35 ans ; la prévalence est alors très proche chez les hommes et chez les femmes. Ces caractéristiques d’âge ont deux effets sur le rapport des infections par sexe. Le premier effet est lié à la structure pyramidale de la population jeune de l’Afrique sub-saharienne. La prévalence du VIH, qui augmente très rapidement chez les femmes, atteint son niveau maximum à des âges peu avancés, c’est-à-dire à des classes d'âge qui forment la partie basse de la pyramide. Les hommes, au moment où ils s'infectent, appartiennent à une tranche d'âge qui constitue une partie plus étroite de la pyramide, donc une fraction moins importante de population. Les niveaux de prévalence, qui concernent la population âgée de 15 à 49 ans, seront, par conséquent, défavorables au sexe qui enregistre les taux d'infection les plus élevés dans les tranches d'âge les plus jeunes – dans le cas du VIH, les femmes.
Le deuxième effet est associé à la durée de survie après l'infection. Il semblerait qu'il n'y ait pas de différences importantes dans le temps de survie entre les hommes et les femmes infectés à un âge donné.
Cependant, des études réalisées dans les pays du nord [29] ont montré que la durée de survie des personnes infectées fluctuait en fonction de l'âge auquel le virus avait été contracté. Ainsi, la survie est d'autant plus courte que l'infection est acquise à un âge avancé. Les femmes qui s'infectent plus jeunes auraient donc une durée de survie moyenne plus longue que les hommes. En raison de ce facteur, la prévalence féminine sera plus élevée que la prévalence masculine, même s'il n'y a pas plus de nouvelles infections parmi les femmes que parmi les hommes. Dans le contexte actuel, environ 1/3 des femmes infectées sont susceptibles de transmettre le virus à leurs enfants, à la naissance ou par allaitement maternel.

L'Afrique reste plus que jamais en tête de la transmission verticale avec environ 500 000 enfants infectés chaque année même si des procédés simples et peu coûteux permettant de prévenir efficacement la transmission du virus de la mère à l'enfant sont en train de voir le jour.

Transmission mère-enfant : des avancées encourageantes

Les procédés mis au point pour l'Afrique sub-saharienne sont issus de plusieurs travaux qui visent à adapter au mieux, dans les pays les plus touchés, les acquis prophylactiques obtenus en Europe et aux États-Unis. Après une étude réalisée en Thaïlande avec l'AZT [30], d'autres essais ont été progressivement mis en place. Organisé sous l'égide d'Onusida, l'essai baptisé "Petra" (pour perinatal transmission) a concerné environ 1 500 femmes vivant dans cinq zones urbaines d'Afrique du sud, d'Ouganda et de Tanzanie [31]. Une partie de ces femmes a été traitée par une association de médicaments antirétroviraux (AZT et 3TC fournis par la multinationale pharmaceutique Glaxo Wellcome) dès la trente-sixième semaine de grossesse et jusqu'à une semaine après l'accouchement. Un second groupe ne recevait ce traitement que durant l'accouchement tandis que le troisième groupe recevait seulement un placebo, substance inactive. Les résultats préliminaires, présentés à la sixième conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes, en février dernier à Chicago, ont montré que dans le premier groupe, le taux de transmission du VIH de la mère à l'enfant chutait de 50 % par rapport au groupe qui ne recevait pas de traitement. Dans le second groupe, le taux de transmission est resté inchangé.
Ces conclusions ont été confirmées par un autre travail conduit en Côte d'Ivoire et au Burkina Faso par un groupe franco-africain [32]. L'originalité de cette étude tenait au fait qu'elle a porté sur un groupe de femmes qui, tout en recevant un traitement "allégé" (AZT seul à partir de la trente-sixième semaine et jusqu'à une semaine après la naissance), ont allaité leur enfant malgré le risque infectieux important que cette pratique représente. La réduction du taux de transmission dans cet essai a été néanmoins de 37 % chez les femmes traitées par rapport au groupe de femmes qui avaient reçu un placebo, témoignant de l'efficacité de thérapeutiques simplifiées.
Enfin, sont apparus encore plus encourageants les résultats présentés lors de la conférence internationale sur le sida en Afrique qui s'est tenue à Lusaka (Zambie) en septembre dernier. Un essai mené en Ouganda a montré l'efficacité de la névirapine administrée en dose unique à la femme qui accouche et à l'enfant dans les trois jours qui suivent sa naissance [33]. Au bout de trois mois, seulement 13 % des enfants avaient effectué une séroconversion. Ces résultats sont d'autant plus encourageants qu'ils simplifient quelques problèmes dont celui de la date du test. Dans l'essai précédent à base d'AZT, le statut sérologique des femmes devait être connu avant le début du neuvième mois de grossesse, date du début du traitement. Le traitement ne peut donc pas s'appliquer en cas de dépistage tardif sur un continent où l'on considère qu'un tiers des femmes enceintes n'a aucun suivi anténatal [34]. Le second avantage du traitement par névirapine est son coût inférieur à cinq dollars, soit moins de 10 % du coût de celui par AZT, même après la baisse des prix annoncée par le laboratoire Glaxo Wellcome. Enfin, il présente un très bon rapport coût-efficacité, critère fondamental des firmes pharmaceutiques.
Les calculs du rapport coût-efficacité ont porté sur 20 000 grossesses, en envisageant deux hypothèses de traitements : un traitement ciblé avec test de dépistage pour les femmes bénéficiant d'une prise en charge ; un traitement systématique de toutes les femmes enceintes sans dépistage [35]. Les simulations ont été menées dans deux contextes : l'un à très forte prévalence (30 %), l'autre à prévalence plus faible (15 %). Le rapport coût-efficacité du traitement a été jugé très bon dans un contexte de forte prévalence, quelle que soit l'option retenue (dépistage ou administration systématique). Dans les situations à plus faible prévalence, ce traitement pourrait avoir un impact majeur en terme de santé publique lorsque les traitements nécessitant plusieurs doses ne sont pas d'un bon rapport coût-efficacité.

Des essais qui renvoient à des problèmes éthique importants

Il est aisé de comprendre l'intérêt de mener des essais sur la transmission mère-enfant. Mais ces essais renvoient aussi à des problèmes éthiques importants. Une partie du débat a porté sur la question du placebo alors que des essais européens avaient déjà montré l'efficacité des molécules utilisées. L'usage du placebo a été justifié par le fort recours à l'allaitement maternel dont on ne savait pas s'il allait réduire à néant tout effort d'intervention situé en amont tel que l'usage de produits antirétroviraux à la fin de la grossesse ou à la naissance. L'absence de groupe de contrôle n'aurait donc pas permis de connaître la réelle efficacité de l'intervention mise en place [36]. La justification était plus floue concernant les essais au cours desquels l'allaitement n'était pas naturel.
Cependant, au vu des résultats de l’étude thaïlandaise, les bras placebo ont finalement été supprimés dans tous les essais africains [37]. Un second aspect concerne le problème du consentement.
Dans les essais thérapeutiques, le consentement éclairé des participants est demandé afin de protéger la liberté de choix de l'individu et respecter son autonomie. Une personne peut donc refuser de faire un test ou ne pas venir chercher son résultat ; elle peut également interrompre son traitement indépendamment de l'avis du personnel de santé. C'est cette liberté de choix que l'idée d'un traitement systématique sans dépistage par névirapine chez les femmes enceintes remet en question. Certains y voient, sans doute, une manière de contourner le problème du consentement et d'une manière plus générale de l'accès au dépistage.
L'Onusida considère, en effet, que pas plus de 200 000 personnes (sur les 23 millions infectées) connaissent leur statut sérologique [38], le dépistage étant pratiqué principalement à des fins de surveillance de manière anonyme et non corrélée. Les raisons de cette situation sont multiples.
L'accès au traitement étant très limité, il en résulte un manque d'incitation évident à se faire tester. Dans certains pays, les services de conseil et de tests volontaires n'existent pas ou sont difficilement accessibles. Le fait par exemple que les procédés de dépistage actuel obligent en général à se rendre deux fois sur les lieux du test a souvent pour conséquence qu'une part importante des personnes qui avaient demandé à se faire tester ne revient pas chercher leurs résultats. Une étude menée en milieu rural sud africain a montré que seules 17 % des personnes testées étaient venues chercher leur résultat et avaient ainsi pu bénéficier de l'appui et du soutien qui doivent en découler [38].
Dans tous les cas, l'accès au dépistage doit rester une démarche anonyme et volontaire, ce qui ne correspond pas à la réalité dans un nombre important de pays, où la majorité des dépistages effectués le sont encore sans le consentement des personnes concernées et sans que le résultat du dépistage ne leur soit communiqué [39]. Or, le malaise du corps médical par rapport à la pratique et à l'annonce des résultats du dépistage participe à la constitution de valeurs négatives autour du VIH. Les cas individuels de personnes qui ont été suivies et dépistées montrent que l'abord humain, mais franc, de la pratique du dépistage a plus de chances d'induire une attitude responsable de la part de la personne dépistée, alors que les atermoiements et les subterfuges comme l'annonce à un tiers n'auront aucun effet sur la prévention.
Le dépistage et le conseil peuvent donc permettre d'étendre les bénéfices de la prévention et devraient rester la condition première d'un accès au traitement. Des problèmes éthiques aux enjeux économiques représentés par les traitements Le coût très important, parfois prohibitif de certains traitements - pas seulement des trithérapies mais de médicaments qui servent à traiter des maladies opportunistes - reste un problème majeur pour les pays du sud.
Au Kenya, le coût des deux premières semaines de traitement d'une méningite venant compliquer l'infection par le virus du sida équivaut à 800 dollars alors que le salaire mensuel moyen, dans ce pays, est de 130 dollars.
Devant cette situation, des pays comme l'Afrique du sud (ou la Thaïlande) ont décidé de recourir aux licences obligatoires et aux importations parallèles. La révision des accords du GATT (qui a abouti à la création de l'OMC) a introduit des accords sur la propriété intellectuelle [40]. Ces derniers autorisent un état confronté à une situation d'urgence sanitaire de faire fabriquer localement des formes génériques de médicaments : c'est ce qu'on appelle une licence obligatoire. Il peut également se fournir, non pas auprès de la maison-mère, mais d'autres pays pratiquant des tarifs plus bas, ce sont les importations parallèles. Selon les pays, le prix de la boîte de 40 gélules de 250 mg d'AZT varie de 53 dollars à 125 dollars. Ces dispositions favorables aux pays pauvres sont toutefois combattues par la Fédération internationale de l'industrie du médicament et par les États-Unis, au nom de la défense de la propriété intellectuelle, considérée comme moteur de la recherche médicale... Ces dispositions sont pourtant essentielles compte tenu de la faiblesse des alternatives.
Un Fonds de solidarité thérapeutique international (FSTI) a bien été lancé par la France, en décembre 1997, à Abidjan, lors de la dixième conférence sur le sida en Afrique, mais les premières actions ont été difficiles à mener compte tenu de la faiblesse des fonds disponibles. Aujourd'hui, le FSTI intervient sur deux sites pilotes : la Côte d'Ivoire et le Maroc [41]. On pourrait également citer l'initiative d'Onusida lancée il y a un an dans quatre pays : le Chili, le Viêt-nam, l'Ouganda et la Côte d'Ivoire pour un meilleur accès aux médicaments [42] et dont l'évaluation est actuellement assurée par l'Agence nationale de recherche sur le sida.

Des conséquences démographiques et socio-économiques non négligeables

Même si elles sont louables, ces initiatives sont encore menées à des échelles bien trop petites pour avoir une quelconque influence sur les courbes de mortalité. Plus de deux millions et demi de décès dus au sida ont été prévus à travers le monde pour la seule année 1999, soit un total mondial supérieur à celui de n'importe quelle autre année depuis le début de l'épidémie [1]. Mais ce record, sans doute le plus désespérant de cette fin de siècle, n'est que temporaire puisque l'on considère que même si les programmes de prévention parvenaient à ramener à zéro le nombre de nouvelles infections, le nombre de décès continuerait d'augmenter. Dans le contexte actuel, le pic de mortalité devrait être atteint vers 2005-2010. Les conséquences de ces décès sont multiples, à la fois démographiques, sociales et économiques.
Au niveau démographique, des analyses réalisées par les Nations unies sur un groupe de vingt-neuf pays africains ont montré les premiers impacts de la mortalité due au VIH sur la croissance de la population [43]. A la mi 1995, la population estimée dans ce groupe était de 446 millions d'individus, soit environ 5 millions (ou 1,2 %) de moins que les chiffres attendus en l'absence de l'épidémie VIH. Cette tendance devrait s'alourdir avec le temps puisque les projections pour 2015 annoncent un déficit de population de 61 millions ( - 8 %). Dans les pays les plus touchés, comme le Botswana et la Namibie, le déficit de population pourrait atteindre 20 %. En raison de la mortalité, mais aussi de la baisse de 20 % de la fécondité constatée chez les femmes séropositives, les taux d'accroissement naturel vont suivre la même évolution. Dans un pays comme le Zimbabwe, ce taux est passé de 2,4 % (taux attendu) à 1,5 % actuellement ; ils devraient passer sous la barre des 1 % aux alentours de 2000-2005. Cependant, les experts des Nations unies considèrent qu'aucun pays ne devrait enregistrer de croissance négative.
Un autre indicateur très significatif est le fort déclin de l'espérance de vie qui, dans les neuf pays les plus touchés par l'épidémie, devrait être revenue, en 2015, à son niveau de 1965. Les effets étant proportionnels à la gravité de l'épidémie au plan local, les évolutions les plus sévères devraient concerner le Botswana et la Namibie avec respectivement 29 et 20 années de vie perdues entre 1990-1995 et 2000-2005.
Enfin, en raison de l'importance des cas pédiatriques, les taux de mortalité infantile sont passés de 76 ‰ à 86 ‰ dans les pays les plus infectés. Une augmentation massive du nombre de décès dans une population d'adultes jeunes et économiquement actifs a inévitablement une incidence sur l'ensemble de la sphère économique.
Sont généralement distingués les coûts directs des coûts indirects [44]. Les coûts directs représentent l'ensemble des ressources consommées pour la prise en charge médicale et sociale, soit les coûts relatifs à l'information et à la prévention, à la recherche, au dépistage, au traitement et à la prise en charge des malades. Ces coûts ne sont pas très faciles à appréhender à cause, d'une part, de l'absence dans de nombreux pays de données fiables relatives aux dépenses de santé et d'autre part, de la prise en charge par des bailleurs de fonds étrangers d’une partie de ces coûts. Quoiqu'il en soit, les programmes de santé qui étaient déjà affectés par un manque de ressources bien avant l'arrivée du virus n'ont pu voir leurs tâches que se compliquer avec la gestion des programmes relatifs au sida. L'ampleur de la maladie a eu également comme conséquence la réallocation des ressources aux dépens d'autres pathologies. Dans de nombreux hôpitaux comme celui de Kigali où 70 % des lits sont occupés par des malades du sida [45], les possibilités d'admission pour d'autres affections sont considérablement limitées.
L'appréhension des coûts indirects est encore plus délicate puisqu'il s'agit d'évaluer la perte de productivité ou de temps de travail due à la maladie, touchant le malade lui-même quand il ne peut plus exercer son activité professionnelle ou domestique, mais aussi ses proches lorsqu'ils ont l'obligation de le prendre en charge. Cette évaluation est d'autant plus difficile dans le contexte africain où le marché de l'emploi est marqué par un secteur informel important et où une partie importante des tâches est assumée par les femmes pourtant trop souvent considérées comme inactives par les statistiques officielles.
Cependant, l'épidémie a d'ores et déjà des effets économiques repérables tout à la fois au niveau des unités domestiques, de production agricole et des entreprises. Au sein de la famille, le sida peut amener tout un cortège de difficultés économiques, mais il affecte aussi la morphologie du groupe, les statuts et les rôles que chacun de ses membres y exerce [46]. Dans les familles proches du modèle nucléaire, la maladie de l'un des parents peut remettre en cause toute la production économique du ménage, posant avec acuité la question du devenir des enfants, les "orphelins du sida". Les conséquences sont peut être moins brutales pour les familles encore impliquées dans des réseaux de parenté de type lignager. Le sida y affecte cependant la distribution des rôles et des tâches : si un ou plusieurs actifs sont touchés par la maladie les plus jeunes pourront être mobilisés, engendrant ainsi un processus de déscolarisation déjà amorcé sous l'effet de la crise économique. La mort des adultes suite au sida plongent les ménages ruraux dans un cercle vicieux de pauvreté.
Une étude menée en Ouganda a montré que la perte de la force de travail et de la capacité de générer les revenus nécessaires pour acheter les intrants agricoles suite au décès des adultes sidéens conduit les ménages ruraux à adopter une stratégie de réduction de la variété de cultures pratiquées, au détriment des cultures de rente [47]. Il en découle une réduction des recettes financières qui aggrave davantage l'abandon des cultures de rente et la non-utilisation des intrants. La pauvreté ainsi amorcée s'accroît d'année en année. Dans les secteurs agricole et industriel, la perte, par décès ou absentéisme, de la main d'œuvre qualifiée fait baisser la productivité de manière importante et pose le problème du coût de son remplacement et de la désorganisation du travail. Au Kenya, les directeurs d'une plantation agricole soulignaient que la proportion de sucre transformé à partir de la canne brute avait chuté de 50 % entre 1993 et 1997 [1]. Le même constat a été fait dans une plantation de fleurs dans une autre région du pays où les coûts de santé ont décuplé entre 1985 et 1995 pour atteindre plus d'un million de dollars pour une entreprise de 7 000 employés, entamant ainsi largement les bénéfices effectués.
Même si des employeurs ont cru, un temps, trouver la solution en imposant un test de dépistage au moment de l'embauche ou en licenciant de manière abusive les personnes infectées [48], de plus en plus d'entreprises initient désormais des programmes de prévention pour protéger leurs investissements en capital humain. Enfin, le système éducatif n'est pas en reste. Dans certains pays, le fonctionnement du système lui-même, ainsi que sa qualité, sont compromis par la maladie et le décès des professeurs, comme cela a pu déjà être documenté en Ouganda et en Tanzanie [49, 50].

Un état des lieux que l’on voudrait moins sombre….

À tous points de vue, le contexte général du continent africain, la faiblesse des États en matière de santé publique et tout particulièrement de prise en charge du sida, et les possibles conséquences de l'épidémie, le tableau de la situation est plutôt dramatique et les perspectives pour les années avenir encore davantage. Il n'est cependant pas nécessaire d'abonder dans le sens du discours catastrophiste, trop souvent véhiculé par les médias et dont on peut se demander s'il ne produit pas lui-même des effets néfastes ou contre productifs, notamment en matière de prévention.
Face au sida, l'Afrique reste plurielle, il subsiste des zones du continent qui semblent toujours épargnées par l'épidémie ; dans certaines zones parmi les plus touchées, l'épidémie semble se stabiliser. Cette stabilisation, si elle peut être le fruit de l'évolution naturelle de l'épidémie, semble aussi être en partie attribuable à la prévention. Même si le discours sur la maladie est longtemps resté désincarné, les séropositifs, aujourd'hui, s'organisent et parlent de leurs maladies, les films témoignages et les séries TV se sont multipliés favorisant le recul de la stigmatisation et une prise de conscience plus générale des enjeux cruciaux que pose le sida en cette fin de millénaire.
Cependant, ces efforts ne pourront se poursuivre qu'avec le renouvellement de l'engagement politique, à la fois au niveau de chacun des États et de la communauté internationale, en appui et complément au travail des associations et des organisations communautaires. Cet engagement est indispensable car, compte tenu du faible accès aux traitements et à l'absence de vaccin, la prévention, encore plus qu’ailleurs, va rester, pour les années qui viennent, l'axe majeur de la politique de lutte contre l'infection VIH sur ce continent.

 

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